
Imaginez une rue percée directement à travers des remparts vieux de 600 ans. C’est exactement ce qui s’est produit à Avignon entre 1874 et 1877, lorsque les ingénieurs municipaux ont entrepris un chantier d’urbanisme révolutionnaire pour créer la rue Thiers.
Cette artère de 11 mètres de large traverse littéralement les fortifications médiévales du XIVe siècle, reliant directement la porte Thiers aux halles centrales de la cité papale. Un exploit technique qui transforme aujourd’hui encore l’expérience de visite du centre historique avignonnais.
Cette prouesse d’ingénierie urbaine révèle comment une ville antique peut s’adapter aux besoins modernes sans sacrifier son patrimoine exceptionnel. Découvrons les secrets de cette rue unique en France.
L’exploit technique du percement des remparts médiévaux
Un chantier de trois années dans les fortifications du XIVe siècle
Le percement de la rue Thiers représente un défi architectural sans précédent en France. Les travaux, initiés en 1869 mais réalisés principalement entre 1874 et 1877, nécessitèrent de traverser les systèmes défensifs superposés d’Avignon. Les ingénieurs exploitèrent intelligemment l’espace des « Grands Jardins », zone maraîchère située entre l’enceinte du XIIIe siècle et les remparts du XIVe siècle.
Une technique de construction respectueuse du patrimoine
L’originalité du projet réside dans sa capacité à préserver l’intégrité des fortifications classées aujourd’hui au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ces remparts de 4,3 kilomètres, construits entre 1355 et 1370 sous les papes Innocent VI et Urbain V, ont été traversés sans compromettre leur structure défensive. Cette approche révolutionnaire inspire encore les urbanistes contemporains spécialisés dans la réhabilitation de centres historiques.
Une intégration architecturale remarquable à travers les siècles
Le mariage réussi entre Moyen Âge et urbanisme haussmannien
La rue Thiers illustre parfaitement l’art de concilier conservation patrimoniale et modernité urbaine. L’hôtel Saint-Yves, situé aux numéros 4-6, conserve ses fenêtres à croisées du XVIe siècle, créant un dialogue architectural saisissant avec l’ordonnancement haussmannien de la nouvelle artère. Cette propriété historique accueillait régulièrement Adolphe Thiers lors de ses séjours avignonnais, chez la famille Peytavin.
Un laboratoire d’urbanisme post-haussmannien en cité antique
Cette réalisation constitue un exemple unique d’adaptation des principes haussmanniens aux contraintes d’une ville fortifiée. L’artère respecte la perspective tout en privilégiant la circulation piétonne, une approche visionnaire qui anticipe les préoccupations actuelles de mobilité douce. L’Inspection académique de Vaucluse au numéro 49 et le collège Joseph-Viala spécialisé en théâtre témoignent de cette vitalité institutionnelle préservée.
L’expérience contemporaine d’une rue historique vivante
Un axe culturel et commercial au cœur d’Avignon
Aujourd’hui, la rue Thiers offre aux visiteurs une expérience unique de déambulation urbaine. Cette artère commerciale et de promenade dessert directement les halles centrales, créant un lien direct entre patrimoine médiéval et vie quotidienne contemporaine. Le théâtre des Hivernales, la fontaine de la place Guillaume Puy et le théâtre du Balcon ponctuent ce parcours culturel exceptionnel.
Vers une rue végétalisée respectueuse de son histoire
Les projets municipaux actuels visent à végétaliser cette artère historique pour concilier fraîcheur urbaine et respect du style haussmannien. Cette démarche de développement durable s’accompagne d’une priorité renforcée à la mobilité douce et aux espaces verts, créant des îlots de fraîcheur tout en sécurisant les intersections. Une évolution qui honore l’esprit novateur des concepteurs du XIXe siècle.
Ce qu’il faut retenir de cette prouesse urbaine unique
Un modèle d’urbanisme respectueux du patrimoine
La rue Thiers démontre qu’il est possible de moderniser une ville historique sans la dénaturer. Cette réalisation inspire aujourd’hui les architectes et urbanistes confrontés aux défis de réhabilitation des centres-villes anciens, particulièrement dans le contexte des transitions écologiques urbaines. Elle prouve que l’innovation technique peut servir la conservation patrimoniale.
Une leçon d’histoire urbaine à découvrir
Bien que la rue ait été officiellement rebaptisée « rue Roger Salengro » au milieu du XXe siècle, l’usage populaire a maintenu l’appellation originale, témoignant de l’ancrage profond de cette réalisation dans l’identité avignonnaise. Cette rue unique en France mérite une visite attentive pour comprendre comment le génie civil du XIXe siècle a su conjuguer audace technique et respect du patrimoine. Un exemple remarquable de ce que peut accomplir l’urbanisme lorsqu’il réconcilie passé et modernité.